Que de fois tu m'as dit, aux heures du délire,
Quand mon front tout à coup devenait soucieux :
"Sur ta bouche pourquoi cet effrayant sourire?
Pourquoi ces larmes dans tes yeux?"
Pourquoi? C'est que mon cœur, au milieu des délices,
D'un souvenir jaloux constamment oppressé,
Froid au bonheur présent, va chercher ses supplices,
Dans l'avenir et le passé.
Jusque dans tes baisers je retrouve des peines;
Tu m'accables d'amour : l'amour, je m'en souviens,
Pour la première fois s'est glissé dans tes veines,
Sous d'autres baisers que les miens.
Du feu des voluptés vainement tu m'enivres ;
Combien pour un beau jour de tristes lendemains!
Ces charmes qu'à mes mains en palpitant tu livres,
Palpiteront sous d'autres mains.
Et je ne pourrai pas, dans ma fureur jalouse,
De l'infidélité te réserver le prix!
Quelques mots à l'autel t'ont faite son épouse,
Et te sauvent de mon mépris.
Car ces mots pour toujours ont vendu tes caresses,
L'amour ne les doit plus donner ni recevoir;
L'usage des époux a réglé les tendresses
Et leurs baisers sont un devoir!
Malheur? Malheur à moi que le ciel en ce monde
A jeté comme un hôte à ses lois étranger!
A moi qui ne sais pas dans ma douleur profonde
Souffrir longtemps sans me venger.
Malheur! Car une voix qui n'a rien de la terre
M'a dit "Pour ton bonheur c'est sa mort qu'il te faut;"
Et cette voix m'a fait comprendre le mystère
Et du meurtre et de l'échafaud.
Viens, donc, Ange du Mal, dont la voix me convie!
Car il est des instants où, si je te voyais,
Je pourrais pour son sang t'abandonner ma vie,
Et mon âme . . . si j'y croyais !