Ce texte est tiré
d'un recueil de nouvelles publié en 1849 et intitulé
Les Mille et un fantômes. Le livre est constitué d’histoires
indépendantes que se racontent des convives durant un repas.
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Dupuis. La diffusion est libre et gratuite
à condition toutefois de garder cet en-tête.
Le bracelet de cheveux
par Alexandre Dumas père
- Mon cher
abbé, dit Alliette, j’ai la plus grande estime pour vous et la plus
grande vénération pour Cazotte ; j’admire parfaitement l’influence
de votre mauvais génie ; mais il y a une chose que vous oubliez
et dont je suis, moi, un exemple : c’est que la mort ne tue pas la vie
; la mort n’est qu’un mode de transformation du corps humain ; la mort
tue la mémoire, voilà tout. Si la mémoire ne mourait
pas, chacun se souviendrait de toutes les pérégrinations
de son âme, depuis le commencement du monde jusqu’à nous.
La pierre philosophale n’est pas autre chose que ce secret ; c’est ce secret
qu’avait trouvé Pythagore, et qu’ont retrouvé le comte de
Saint-Germain et Cagliostro ; c’est ce secret que je possède à
mon tour, et qui fait que mon corps mourra, comme je me rappelle positivement
que cela lui est déjà arrivé quatre ou cinq fois,
et encore, quand je dis que mon corps mourra, je me trompe, il y a certains
corps qui ne meurent pas, et je suis de ceux-là.
- Monsieur
Alliette, dit le docteur, voulez-vous d’avance me donner une permission
?
- Laquelle
?
- C’est
de faire ouvrir votre tombeau un mois après votre mort.
- Un mois,
deux mois, un an, dix ans, quand vous voudrez, docteur ; seulement, prenez
vos précautions... car le mal que vous ferez à mon cadavre
pourrait nuire à l’autre corps dans lequel mon âme serait
entrée.
- Ainsi
vous croyez à cette folie ?
- Je suis
payé pour y croire ; j’ai vu.
- Qu’avez-vous
vu ?... un de ces morts-vivants ?
- Oui.
- Voyons,
monsieur Alliette, puisque chacun a raconté son histoire, racontez
aussi la vôtre ; il serait curieux que ce fût la plus vraisemblable
de la société.
- Vraisemblable
ou non, docteur, la voici dans toute sa vérité. J’allais
de Strasbourg aux eaux de Louesche. Vous connaissez la route, docteur ?
- Non ;
mais qu’importe, allez toujours.
J’allais
donc de Strasbourg aux eaux de Louesche, et je passai naturellement par
Bâle, où je devais quitter la voiture publique pour prendre
un voiturin.
Arrivé
à l’hôtel de la Couronne, que l’on m’avait recommandé,
je m’enquis d’une voiture et d’un voiturin, priant mon hôte de s’informer
si quelqu’un dans la ville n’était point en disposition de faire
la même route que moi ; alors il était chargé de proposer
à cette personne une association qui devait naturellement rendre
à la fois la route plus agréable et moins coûteuse.
Le soir,
il revint, ayant trouvé ce que je demandais ; la femme d’un négociant
bâlois, qui venait de perdre son enfant, âgé de trois
mois qu’elle nourrissait elle-même, avait fait, à la suite
de cette perte, une maladie pour laquelle on lui ordonnait les eaux de
Louesche. C’était le premier enfant de ce jeune ménage marié
depuis un an.
Mon hôte
me raconta qu’on avait eu grand-peine à décider la femme
à quitter son mari. Elle voulait absolument ou rester à Bâle
ou qu’il vînt avec elle à Louesche ; mais, d’un autre côté,
l’état de santé exigeant les eaux, tandis que l’état
de leur commerce exigeait sa présence à Bâle, elle
s’était décidée et partait avec moi le lendemain matin.
Sa femme de chambre l’accompagnait.
Un prêtre
catholique, desservant l’église d’un petit village des environs,
nous accompagnait et occupait la quatrième place dans la voiture.
Le lendemain,
vers huit heures du matin, la voiture vint nous prendre à l’hôtel
; le prêtre y était déjà. J’y montai à
mon tour, et nous allâmes prendre la dame et sa femme de chambre.
Nous assistâmes,
de l’intérieur de la voiture, aux adieux des deux époux,
qui, commencés au fond de leur appartement, continuèrent
dans le magasin et ne s’achevèrent que dans la rue. Sans doute la
femme avait quelque pressentiment, car elle ne pouvait se consoler. On
eût dit que, au lieu de partir pour un voyage d’une cinquantaine
de lieues, elle partait pour faire le tour du monde.
Le mari
paraissait plus calme qu’elle, mais néanmoins était plus
ému qu’il ne convenait raisonnablement pour une pareille séparation.
Nous partîmes
enfin.
Nous avions
naturellement, le prêtre et moi, donné les deux meilleures
places à la voyageuse et à sa femme de chambre, c’est-à-dire
que nous étions sur le devant et elles au fond.
Nous prîmes
la route de Soleure, et le premier jour nous allâmes coucher à
Mundischwyll. Toute la journée, notre compagne avait été
tourmentée, inquiète. Le soir, ayant vu passer une voiture
de retour, elle voulait reprendre le chemin de Bâle. Sa femme de
chambre parvint cependant à la décider à continuer
sa route.
Le lendemain,
nous nous mîmes en route vers neuf heures du matin. La journée
était courte, nous ne comptions pas aller plus loin que Soleure.
Vers le
soir, et comme nous commencions d’apercevoir la ville, notre malade tressaillit.
- Ah !
dit-elle, arrêtez, on court après nous.
Je me penchai
hors de la portière.
- Vous
vous trompez, madame, répondis-je, la route est parfaitement vide.
- C’est
étrange, insista-t-elle. J’entends le galop d’un cheval.
Je crus
avoir mal vu. Je sortis plus avant hors de la voiture.
- Personne,
madame, lui dis-je.
Elle regarda
elle-même et vit comme moi la route déserte.
- Je m’étais
trompée, dit-elle en se rejetant au fond de la voiture ; et elle
ferma les yeux comme une femme qui veut concentrer sa pensée en
elle-même.
Le lendemain
nous partîmes à cinq heures du matin. Cette fois la journée
était longue. Notre conducteur vint coucher à Berne à
la même heure que la veille, c’est-à-dire vers cinq heures,
notre compagne sortit d’une espèce de sommeil où elle était
plongée, et étendant le bras vers le cocher :
- Conducteur,
dit-elle, arrêtez. Cette fois j’en suis sûre, on court après
nous.
- Madame
se trompe, répondit le cocher. Je ne vois que les trois paysans
qui viennent de nous croiser, et qui suivent tranquillement leur chemin.
- Oh !
mais j’entends le galop du cheval.
Ces paroles
étaient dites avec une telle conviction, que je ne pus m’empêcher
de regarder derrière nous.
Comme la
veille, la route était absolument déserte.
- C’est
impossible, madame, répondis-je, je ne vois pas de cavalier.
- Comment
se fait-il que vous ne voyiez point de cavalier, puisque je vois, moi,
l’ombre d’un homme et d’un cheval ?
Je regardais
dans la direction de sa main, et je vis en effet l’ombre d’un cheval et
d’un cavalier. Mais je cherchai inutilement les corps auxquels les ombres
appartenaient.
Je fis
remarquer cet étrange phénomène au prêtre, qui
se signa.
Peu à
peu cette ombre s’éclaircit, devint d’instant en instant moins visible,
et enfin disparut tout à fait.
Nous entrâmes
à Berne.
Tous ces
présages paraissaient fatals à la pauvre femme ; elle disait
sans cesse qu’elle voulait retourner, et cependant elle continuait son
chemin.
Soit inquiétude
morale, soit progrès naturel de la maladie, en arrivant à
Thun, la malade se trouva si souffrante, qu’il lui fallut continuer son
chemin en litière. Ce fut ainsi qu’elle traversa le Kander-Thal
et le Gemmi. En arrivant à Louesche, un érysipèle
se déclara et pendant plus d’un mois elle fut sourde et aveugle.
Au reste,
ses pressentiments ne l’avaient pas trompée ; à peine avait-elle
fait vingt lieues que son mari avait été pris d’une fièvre
cérébrale.
La maladie
avait fait des progrès si rapides, que, le même jour, sentant
la gravité de son état, il avait envoyé un homme à
cheval pour prévenir sa femme et l’inviter à revenir. Mais
entre Lauffen et Breinteinbach, le cheval s’était abattu, et le
cavalier étant tombé, sa tête avait donné contre
une pierre, et il était resté dans une auberge, ne pouvant
rien pour celui qui l’avait envoyé que de le faire prévenir
de l’accident qui était arrivé.
Alors on
avait envoyé un autre courrier ; mais sans doute il y avait une
fatalité sur eux ; à l’extrémité du Kander-Thal,
il avait quitté son cheval et pris un guide pour monter le plateau
de Schwalbach, qui sépare l’Oberland du Valais, quand, à
moitié chemin, une avalanche roulant du mont Attels l’avait entraîné
avec elle dans un abîme ; le guide avait été sauvé
comme par miracle.
Pendant
ce temps, le mal faisait des progrès terribles. On avait été
obligé de raser la tête du malade, qui portait des cheveux
très longs, afin de lui appliquer de la glace sur le crâne.
À partir de ce moment, le moribond n’avait plus conservé
aucun espoir, et dans un moment de calme il avait écrit à
sa femme :
«
Chère Bertha, Je vais
mourir, mais je ne veux pas me séparer de toi tout entier. Fais-toi
faire un bracelet des cheveux qu’on vient de me couper et que je fais mettre
à part. Porte-le toujours, et il me semble qu’ainsi nous serons
encore réunis.
Ton Frédérick. »
Puis il
avait remis cette lettre à un troisième exprès, à
qui il avait ordonné de partir aussitôt qu’il serait expiré.
Le soir
même il était mort. Une heure après sa mort, l’exprès
était parti, et, plus heureux que ses deux prédécesseurs,
il était, vers la fin du cinquième jour, arrivé à
Louesche.
Mais il
avait trouvé la femme aveugle et sourde ; au bout d’un mois seulement,
grâce à l’efficacité des eaux, cette double infirmité
avait commencé à disparaître. Ce n’était qu’un
autre mois écoulé qu’on avait osé apprendre à
la femme la fatale nouvelle à laquelle du reste les différentes
visions qu’elle avait eues l’avaient préparée. Elle était
restée un dernier mois pour se remettre complètement ; enfin,
après trois mois d’absence, elle était repartie pour Bâle.
Comme,
de mon côté, j’avais achevé mon traitement, que l’infirmité
pour laquelle j’avais pris les eaux, et qui était un rhumatisme,
allait beaucoup mieux, je lui demandai la permission de partir avec elle,
ce qu’elle accepta avec reconnaissance, ayant trouvé en moi une
personne à qui parler de son mari, que je n’avais fait qu’entrevoir
au moment du départ, mais enfin que j’avais vu.
Nous quittâmes
Louesche, et, le cinquième jour, au soir, nous étions de
retour à Bâle.
Rien ne
fut plus triste et plus douloureux que la rentrée de cette pauvre
veuve dans sa maison ; comme les deux jeunes époux étaient
seuls au monde, le mari mort, on avait fermé le magasin, le commerce
avait cessé comme cesse le mouvement lorsqu’une pendule s’arrête.
On envoya chercher le médecin qui avait soigné le malade,
les différentes personnes qui l’avaient assisté à
ses derniers moments, et, par eux, en quelque sorte, on ressuscita cette
agonie, on reconstruisit cette mort déjà presque oubliée
chez ces coeurs indifférents.
Elle redemanda
au moins les cheveux que son mari lui léguait.
Le médecin
se rappela bien avoir ordonné qu’on les lui coupât ; le barbier
se souvint bien d’avoir rasé le malade, mais voilà tout.
Les cheveux avaient été jetés au vent, dispersés,
perdus.
La femme
fut désespérée ; ce seul et unique désir du
moribond, qu’elle portât un bracelet de ses cheveux, était
donc impossible à réaliser.
Plusieurs
nuits s’écoulèrent : nuits profondément tristes, pendant
lesquelles la veuve, errante dans la maison, semblait bien plutôt
une ombre elle-même qu’un être vivant.
À
peine couchée, ou plutôt à peine endormie, elle sentait
son bras droit tomber dans l’engourdissement, et elle ne se réveillait
qu’au moment où cet engourdissement lui semblait gagner le cur.
Cet engourdissement
commençait au poignet, c’est-à-dire à la place où
aurait dû être le bracelet de cheveux, et où elle sentait
une pression pareille à celle d’un bracelet de fer trop étroit
; et du poignet, comme nous l’avons dit, l’engourdissement gagnait le cur.
Il était
évident que le mort manifestait son regret de ce que ses volontés
avaient été mal suivies.
La veuve
comprit ces regrets qui venaient de l’autre côté de la tombe.
Elle résolut d’ouvrir la fosse, et si la tête de son mari
n’avait pas été entièrement rasée, d’y recueillir
assez de cheveux pour réaliser son dernier désir.
En conséquence,
sans rien dire de ses projets à personne, elle envoya chercher le
fossoyeur.
Mais le
fossoyeur qui avait enterré son mari était mort. Le nouveau
fossoyeur, entré en exercice depuis quinze jours seulement, ne savait
pas où était la tombe.
Alors,
espérant une révélation - elle qui, par la double
apparition du cheval, du cavalier, elle qui, par la pression du bracelet,
avait droit de croire aux prodiges - elle se rendit au cimetière,
s’assit sur un tertre couvert d’herbe verte et vivace comme il en pousse
sur les tombes, et là elle invoqua quelque nouveau signe auquel
elle pût se rattacher pour ses recherches.
Une danse
macabre était peinte sur le mur de ce cimetière. Ses yeux
s’arrêtèrent sur la Mort et se fixèrent longtemps sur
cette figure railleuse et terrible à la fois.
Alors il
lui sembla que la Mort levait son bras décharné, et du bout
de ses doigts osseux désignait une tombe au milieu des dernières
tombes.
La veuve
alla droit à cette tombe, et quand elle y fut, il lui sembla voir
bien distinctement la Mort qui laissait retomber son bras à la place
primitive.
Alors elle
fit une marque à la tombe, alla chercher le fossoyeur, le ramena
à l’endroit désigné, et lui dit :
- Creusez,
c’est ici !
J’assistais
à cette opération. J’avais voulu suivre cette merveilleuse
aventure jusqu’au bout.
Le fossoyeur
creusa.
Arrivé
au cercueil, il leva le couvercle. D’abord il avait hésité
; mais la veuve lui avait dit d’une voix ferme :
- Levez,
c’est le cercueil de mon mari.
Il obéit
donc, tant cette femme savait inspirer aux autres la confiance qu’elle
possédait elle-même.
Alors apparut
une chose miraculeuse et que j’ai vue de mes yeux. Non seulement le cadavre
était celui de son mari, non seulement ce cadavre, à la pâleur
près, était tel que de son vivant, mais encore depuis qu’ils
avaient été rasés, c’est-à-dire depuis le jour
de sa mort, ses cheveux avaient poussé de telle sorte qu’ils sortaient
comme des racines par toutes les fissures de la bière.
Alors la
pauvre femme se pencha vers ce cadavre, qui semblait seulement endormi
; elle le baisa au front, coupa une mèche de ses longs cheveux si
merveilleusement poussés sur la tête d’un mort, et en fit
faire un bracelet.
Depuis
ce jour, l’engourdissement nocturne cessa. Seulement, chaque fois qu’elle
était prête à courir quelque grand danger, une douce
pression, une amicale étreinte du bracelet l’avertissait de se tenir
sur ses gardes.
- Eh bien
! Croyez-vous que ce mort fût réellement mort ? que ce cadavre
fût bien un cadavre ? Moi, je ne le crois pas.
- Et, demanda
la dame pâle avec un timbre si singulier qu’il nous fît tressaillir
tous dans cette nuit où l’absence de lumière nous avait laissés,
vous n’avez pas entendu dire que ce cadavre fût jamais sorti du tombeau,
vous n’avez pas entendu dire que personne eût eu à souffrir
de sa vue et de son contact ?
- Non,
dit Alliette, j’ai quitté le pays.
- Ah !
dit le docteur, vous avez tort, monsieur Alliette, d’être de si facile
composition. Voici madame Grégoriska qui était toute prête
à faire de votre bon marchand de Bâle en Suisse un vampire
polonais, valaque ou hongrois.
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