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L'Embarquement

par Alexandre Dumas père, Saint Nazaire, 10 mai 1829

Allons, les passagers! qu'on monte dans la barge,
Nous sommes en retard, le navire ancre au large,
    Le vent souffle, bon frais.
La marée en partant laisse l'eau moins amère,
Partons comme elle.... Enfant, vite embrasse ta mère,
    Tu pleureras après.

Vous pleurerez après, vous aussi, jeune fille!
Vous quittez votre amant!.... Qu'il vous suive à Manille,
    C'est un fort beau pays.
Il verra dans le port ses jonques azurées ,
Et sur la rive au loin ses pagodes dorées,
    Et ses champs de maïs.

Qu'il vienne! sur mon bord je lui donne une place;
Je veux à vos yeux bleus accorder cette grâce
    De le prendre avec nous.
Je le passe et nourris sans qu'il ait rien à faire,
Et quant à son hamac, ma foi, c'est une affaire
    A régler entre vous.

Il y consent.... Alors que Dieu vous soit en joie....
A vos rames, enfans, qu'un instant on louvoie
    A babord des rescifs.
Voyez! voyez! contre eux comme courent les lames!
À babord, à bâbord, courbez-vous sur vos rames.
    Allons!... joyeux et vifs!...

C'est cela... Passagers, voyez-vous la Pauline?
Tenez, c'est ce trois-mâts dont le beaupré s'incline
    Sur le flot indolent
Que sa flamme en flottant comme un serpent traverse,
Et qui tranquille et fier sur les vagues se berce,
    Ainsi qu'un goëland.

Voyez-vous sur son bord cette foule incertaine?
Elle m'attend; c'est moi qui suis son capitaine;
    Je dis: Obéisssez!
Et pour prendre un mousquet, amarrer un cordage,
Hisser mon pavillon ou tenter l'abordage,
    Cent bras sont empressés

Il faut voir mes marins pendant ces jours de fête,
Où gronde la bataille, où mugit la tempête,
    Où sur les flots mouvans
Mon vaisseau qu'un brouillard entoure comme un voile,
Sent siffler à travers sa mâture et sa voile
    Les boulets et les vents.

Sur la mer dont à peine il ouvre la surface,
Il s'arrête ou bondit, se déploie ou s'efface
    Sous mon ordre pressé;
Et lorsque le boulet ou le roc vient l'atteindre,
Je l'entends aussitôt tressaillir et se plaindre.
    Comme un homme blessé.

Mais que le veut s'apaise, ou que le feu s'éteigne,
Qu'aux ordres du second, répétés par l'enseigne
    Et par les matelots,
Des morts ou des débris son pont se débarrasse,
La Pauline bientôt se relève avec grâce
    Pour se mirer aux flots.

Coquette, elle veut voir sa voilure changée,
Car elle n'ose pas se montrer négligée
    Au plus petit bateau.
Ainsi la jeune fille à l'amour se révèle,
Et demande à son père une robe nouvelle
    A chaque bal nouveau.

C'est que je l'aime aussi comme on aime une fille.
C'est tout simple, j'ai vu clouer depuis sa quille
    Jusqu'à son perroquet;
Et dans le port de Brest lorsqu'elle fut lancée,
J'ai voulu, comme au front pur d'une fiancée,
    Attacher un bouquet.

Oh! si je la perdais! alors que deviendrais-je?
Comment la remplacer? Et puis d'ailleurs pourrais-je
    Survivre à son trépas?
Une fois un boulet fracassa ses mâtures;
Je pleurai ma Pauline, et j'avais deux blessures
    Que je ne sentais pas.

Enfant de l'Océan, avec idolâtrie
Je l'aime et trouve en lui parens, amis, patrie,
    C'est, je crois, sans raison
Que Dieu fit cette terre à l'aspect qui repousse,
Et qui n'est bonne au plus qu'à faire de l'eau douce
    Et sécher du poisson.

Nous sommes arrivés. — Encore un coup de rames.
Deux hommes à babord! quel'on hisse les femmes
    Dans le fauteuil de crin.
L'échelle est trop rapide et leurs mains sont trop douces,
Et d'ailleurs comme nous, ces jolis petits mousses
    N'ont pas le pied marin.

C'est bien!.... Qu'on lève l'ancre et qu'on mette à la voile,
Et si le même vent demain souffle en sa toile,
    Nous verrons du hauban
L'Océan devant nous immense et solitaire,
Et loin, derrière nous, à l'horizon, la terre
    Mince comme un ruban.

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